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Portrait : l'approche psychologique du CDF

Le Centre de Formation a instauré un suivi auprès d’une psychologue et d’un préparateur mental depuis plus de 20 ans dans son équipe d’intervenants auprès des jeunes pensionnaires.Afin de mettre en lumière ce travail de l’ombre, voici un entretien réalisé avec Olivier Leprêtre, préparateur mental, et Nathalie Simorre, Psychologue Clinicienne.

Pouvez-vous présenter votre parcours et votre arrivée au sein du Stade Toulousain ?

 

Olivier Leprêtre. : Je suis au Stade depuis 2008, a après avoir effectué un parcours de professeur d’E.P.S., en parallèle duquel j’ai suivi un Master en Préparation Physique et Mentale, avec une spécialisation sur l’aspect mental. À la suite d’une mutation dans la région, j’ai été sollicité par le Stade Toulousain pour travailler avec le Centre de Formation, puis avec le secteur professionnel. J’ai établi un protocole d’accompagnement mental du sportif blessé, qui est unique en France et même à l’étranger. J’accompagne de nombreux sportifs de très haut niveau dans tous les sports en France et à l’étranger. Je suis référencé par plusieurs fédérations et j’ai la chance d’accompagner plusieurs athlètes pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. J’ai également créée une académie qui me permet de dispenser des formations spécifiques en préparation mentale dans le milieu du sport principalement mais également dans le domaine de l’entreprise, de l’éducation et de la santé grâce auquel j’accompagne des sportifs de très haut niveau, comme des athlètes olympiques, par exemple. J’exerce également dans mon cabinet et dans mon organisme de formation sur des sujets très spécifiques de la préparation mentale, entre autres.. J’ai par ailleurs élaboré un protocole d’accompagnement mental du sportif blessé, qui est unique en France et même à l’étranger.

 

Nathalie Simorre : Depuis 2001, j'offre un suivi psychologique et des psychothérapies à des adolescents, des adultes ainsi qu'à des sportifs de haut niveau en tant que psychologue clinicienne, en m'engageant à les accompagner vers une meilleure santé mentale et des performances optimales. Parallèlement, depuis cette même année, j'ai eu le privilège d'enseigner la psychologie du sport au sein du STAPS Toulouse, couvrant des cours allant de la Licence 3 au Master 2 et contribuant ainsi à la formation des futurs professionnels du domaine sportif.

Depuis 2008, j’interviens comme psychologue/psychothérapeute au sein du Stade Toulousain, où j'ai l'opportunité de mener des évaluations approfondies et également de fournir un suivi psychologique aux joueurs du Centre de Formation. L’objectif est de les aider à surmonter toute problématique psychologique (émotionnelles, affectives, sociales, identitaires, conflictuelles inter ou intrapersonnelles...) ainsi que la gestion des blessures. Je suis également certifiée en EMDR (Eye Mouvement Desensibilisation and Reprocessing) pour le traitement des traumatismes et des blessures.

 

 

Comment décririez-vous votre activité ?

O.L. :
Le mental, comme tous les autres facteurs de la performance, se travaille et la préparation mentale est un entrainement. Un entrainement qui vise le développement d’habiletés mentales, de compétences très nombreuses. En voici quelques exemples : la régulation du stress et des émotions, la construction de la confiance en soi, l’amélioration de la concentration et de la prise de décision, la construction de routines de préparation de match, de préparation de gestes techniques (mêlées, lancers, tirs au but), le leadership, l’intégration dans un groupe, la capacité à exprimer son jeu, sa technique de manière automatique, la capacité à gérer les erreurs, les échecs, les temps faibles, etc. J’interviens également à un niveau plus macroscopique pour travailler sur des éléments fondamentaux comme l’identité du joueur, sa philosophie, ses motivations, la gestion de sa saison ou encore la construction de ses objectifs. Mais rôle ne se résume pas à donner des outils, il s’agit avant tout de permettre au sportif de mieux se connaître, se comprendre pour mieux se maîtriser. Mon objectif premier est de permettre à l’athlète de trouver son équilibre, ce qui est un préalable à la performance et à une performance qui s’inscrit dans la durée. La vocation de l’accompagnement en préparation mentale est de rendre le sportif autonome. Nous ne sommes pas des gourous. Les sportifs ne peuvent pas être dépendants de notre coaching ou de nos conseils. Nous devons leur permettre de développer leurs habiletés mentales. Il se peut que, dans un deuxième temps, certains athlètes aient besoin d’un entraînement plus prolongé en fonction de leurs sollicitations. Cela peut se traduire par un nouveau cycle, ou bien par un « one shot » avec des petits réglages à effectuer. L’idée est qu’un athlète accompagné mentalement trouve son équilibre lié à une pression, une blessure... Et puis il y a également l’accompagnement des joueurs blessés du Stade Toulousain qui fait l’objet d’un protocole très spécifique. Cet accompagnement qui se fait en collaboration avec Nathalie Simorre et le staff médical garantie une prise en charge globale du joueur. Cette accompagnement ne se contente pas d’aider le joueur à mieux vivre ce moment souvent difficile psychologiquement, mais il permet d’optimiser le temps de réhabilitation, en travaillant par exemple sur le schéma corporel, le processus mental de guérison, la douleur, l’entretien des capacités motrices et décisionnelles par un programme d’imagerie, la préparation de la reprise, etc. Pour les joueurs blessés au Stade Toulousain, un protocole est élaboré en collaboration entre Nathalie Simorre, Philippe Izard et moi-même afin de garantir une prise en charge efficace. En tant que joueur blessé, il faut refuser d'être réduit à un simple "blessé" et il est essentiel de reconnaître l'importance de travailler sur ce sujet dans sa globalité.

 

N.S. : Le domaine de la santé mentale est vaste mais par exemple, la gestion de la régulation émotionnelle est très importante, notamment pour les joueurs de haut niveau jonglant entre les rôles exigeants de parent, d'étudiant et de sportif professionnel. Ainsi, la capacité à réguler les émotions peut grandement influencer les performances (doutes, pression, déséquilibre vie privée, vie pro..). Les interrogations liées au parcours sportif ainsi que les périodes de deuil, d'épreuves de vie ou de changements sont parmi les motifs fréquents de consultations en psychologie. Moi, j’interviens essentiellement lorsque la préparation mentale ne parvient pas à résoudre les défis ou les obstacles rencontrés. D'où l'importance de ma collaboration avec Olivier Leprêtre. De l'équilibre psychologique global aux blocages plus profonds liés à la santé mentale, nous offrons un soutien spécialisé et individualisé.Il s'agit de tisser un maillage complet qui va du Bien-être à la santé mentale. Par ailleurs, au sein de l'équipe professionnelle, un protocole est actuellement en cours de développement en collaboration avec le médecin Philippe Izard, dont le but est la mise en place d'un dispositif d'intervention précoce dans la prise en charge des blessures. Ce projet repose sur un binôme médecin/psychologue qui se situe en amont du protocole d'Olivier. Dans ce cadre, le premier recours demeure la consultation médicale, qui vise à sensibiliser les joueurs à l'importance de la prise en charge psychologique. Ensuite, le dispositif prévoit une intervention rapide post-blessure, notamment pour aborder le traumatisme psychologique associé à celle-ci.

 

 

Considérez-vous que les notions de santé mentale et de psychologue soient ancrées dans le milieu de rugby ?

 

O.L. : Mieux qu’il y a 16 ans c’est certain ! C’est un sujet dont on parle de plus en plus… Et de mieux en mieux ! On a fait du chemin, les joueurs et les sportifs en général. Certains nous contactent pour s’améliorer dans le but de devenir meilleur sans forcément qu’ils aient un problème particulier. Ils veulent juste entrainer leur mental. On y vient petit à petit, mais ce n’est pas encore totalement intégré à l’instar du sport et de l’environnement sportif français en général. On peut progresser sur la communication, proposer un accompagnement mental sur la blessure et l’associer automatiquement à leur bien-être et aux émotions. On a encore un peu de chemin à parcourir, même si au Stade Toulousain on peut dire que nous sommes précurseurs quant à la place accordée à la dimension mentale.

 

N.S. : Au fil des années, les demandes en matière de soutien psychologique dans le sport augmentent. On a constaté que les jeunes générations ont largement déstigmatisé la place et le rôle du psychologue dans le domaine sportif. Cette évolution permet une avancée plus rapide et simplifiée dans la prise en charge des besoins psychologiques des athlètes. Le Stade Toulousain se distingue par son caractère novateur dans ce domaine, en reconnaissant l'importance de la psychologie dans la performance sportive. La meilleure preuve de cette avancée nous vient des jeunes générations qui ont pleinement intégré l'importance de la dimension psychologique et des enjeux qui en découlent.

 

 

Comment le Centre de Formation structure-t-il l'accueil des nouveaux joueurs et quel protocole est mis en place pour les évaluer psychologiquement ?

 

O.L. : Au début de l’année, nous présentons la préparation mentale, son fonctionnement et ce que les joueurs peuvent en attendre. Il est important qu’ils aient une vision claire des ressources qu’ils ont à disposition et que leurs représentations ne soient pas un frein. Certains joueurs se positionnent pour effectuer des séances et d’autres n’osent pas encore. Le staff a aussi la possibilité d’identifier certains joueurs avec des habiletés spécifiques à travailler. Le joueur est entièrement libre de s’engager. Il est également important de préciser cet accompagnement se déroule en respectant la confidentialité.  Parfois, des joueurs sont identifiés afin de travailler certaines compétences ou habilités mentales dans le but de les aiguiller et les aider. Aucune obligation n’est mise en place, on appelle cela la désirabilité sociale.

 

N.S. : L'évaluation psychologique est une étape cruciale pour clarifier le rôle du préparateur mental et du psychologue auprès des joueurs, ainsi que pour déterminer les propositions et les services disponibles. Nous visons à fournir aux joueurs une compréhension claire de ce à quoi ils peuvent s'attendre et de la manière dont nous pouvons les aider. Si les joueurs expriment le désir d'un accompagnement psychologique, nous leur offrons la possibilité de travailler avec moi, que ce soit au sein du club ou dans mon cabinet, dans le respect total de la confidentialité et dans une démarche personnalisée. Un suivi psychologique est mis en place, qui peut aller de quelques séances à une psychothérapie (travail personnel au plus long cours). Au fil des années, les demandes se sont étendues. J’ai été amenée à recevoir les catégories Crabos, Espoirs (qui n’étaient pas au Centre de Formation), les Féminines, puis les pros. En aucun cas, il n'y a obligation de participer à ces soutiens et la décision de bénéficier d'un accompagnement psychologique appartient entièrement aux joueurs.

 

 

Comment votre activité est-elle prise en charge ?

 

O. L. : Pour les jeunes, le coût de cette initiative est entièrement couvert par le budget du Centre de Formation. Les joueurs n'ont donc aucun frais à débourser. Pour les joueurs professionnels, les frais sont partagés à parts égales entre le club et le joueur, sauf dans le cas des blessures où la prise en charge est entièrement assumée par le club.

 

N.S. : Les jeunes sont entièrement pris en charge par le Centre de formation. Pour les autres, le coût leur revient principalement.

 

 

Comment la préparation mentale représente-t-elle un facteur de la performance sportive ?

 

O. L. : Pour moi, la préparation mentale représente une importance équivalente aux autres aspects de la performance sportive. En effet, la performance est le résultat de multiples facteurs qui interagissent. La préparation mentale représente l'équilibre essentiel de l'athlète. Il peut arriver que des sportifs soient parfaitement préparés sur le plan physique, qu'ils aient suivi un entraînement musculaire intense et qu'ils adoptent une hygiène de vie exemplaire, mais qu'ils ne parviennent pas à performer le Jour J. Dans ce cas, l'aspect mental peut jouer un rôle déterminant. En réalité, c'est le cerveau qui contrôle l'ensemble du processus, ce qui souligne l'importance cruciale de la préparation mentale dans la réussite sportive. Le mental est l'élément clé qui permet à la technique d'entraînement de s'exprimer pleinement, tout en assurant la gestion de la pression et du stress lorsque nécessaire. Ignorer cet aspect revient à négliger des éléments aussi importants que la condition physique ou la nutrition, et cela compromettrait la capacité à atteindre son plein potentiel sportif. Remporter des victoires ne suffit pas à un athlète, il doit aussi préserver son équilibre et maintenir une santé mentale optimale. La motivation intrinsèque joue un rôle crucial dans la préparation mentale en alimentant le désir profond et personnel d'atteindre des objectifs sportifs. Comme je l’ai dit précédemment, l’enjeu de la préparation mentale est de permettre au sportif de trouver un équilibre, son équilibre, de mieux se connaître pour mieux se piloter. L’équilibre au service de la performance. J’utilise souvent l’image du funambule professionnel qui avance sur une sangle à 200 m du sol. Il doit d’abord identifier le moindre déséquilibre (sans quoi, il tombe). Pour un joueur, les déséquilibres sont nombreux, des peurs, des pensées, des doutes, la concurrence, l’incertitude du choix du coach, son temps de jeu, l’issue du match, sa performance à venir, l’erreur, et j’en passe. Comme le funambule, il convient d’identifier de manière très lucide tous ces éléments que ce soit dans le fonctionnement quotidien ou dans l’instant du match afin de ne pas tomber. Pour le funambule, il est également indispensable d’accepter ces déséquilibres. Vous ne le verrez jamais lutter contre le déséquilibre, vous ne le verrez pas non plus avancer sans bouger les bras. Ces perturbations sont normales, il faut apprendre à mieux faire avec tout en en diminuant certaines. Le déséquilibre participe à l’équilibre. Chez le funambule professionnel, tout parait fluide, harmonieux, facile. Enfin, il va se concentrer sur ce qu’il peut contrôler dans l’instant comme ses sensations ou encore un point visuel en face de lui afin de continuer à avancer sur cette ligne qu’il a choisie et réaliser sa performance. C’est aussi là que la préparation mentale intervient pour aider le joueur à développer des habiletés mentales et à construire des outils pour optimiser sa performance. Mon travail est donc de permettre aux joueurs de choisir la bonne ligne et d’y évoluer le plus harmonieusement et le plus efficacement possible malgré l’exigence et les difficultés imposées par le sport de très haut niveau.

 

N.S. : Pour l'importance d'un suivi psychologique, je dirais que de façon générale, savoir « se piloter » efficacement représente un atout considérable dans la vie quotidienne comme dans le monde du sport. Les athlètes de haut niveau ont une façon unique d'habiter le monde. Ils accomplissent des actes exceptionnels et doivent donc présenter des caractéristiques physiques, cognitives mais aussi psychologiques d'exception. Pour maintenir un équilibre, et piloter sa vie, comme ses performances, je crois en la prévention qu'est la connaissance de soi. Un athlète qui se connaît, sait réguler ses émotions, et sait écouter correctement tous ses signaux internes est un athlète autonome, en bonne santé mentale et donc plus à même de performer. C'est un processus similaire à celui de l'horlogerie ou de la mécanique de haute précision, où chaque pièce doit être parfaitement ajustée pour assurer un fonctionnement optimal. Angela Duckword, psychologue américaine, écrit dans son ouvrage « L'art de la niaque », que les facteurs de réussite peuvent se résumer à une équation : Passion x Persévérance + Résilience. Une simple équation mais de multiples complexités humaines sous-jacentes.

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